Le premier point qui m’a sauté aux yeux, c’est à quel point c’était bien écrit. C’est toujours compliqué d’écrire sur la mythologie, car c’est très dense et qu’il faut arriver à donner du sens à des actions qui sont parfois symboliques – sans parler de faire comprendre la mentalité d’époque. C’était doublement difficile, du fait que nous sommes du point de vue des dieux qui ont une manière de raisonner tellement différente des mortels. Madeline Miller s’en sort très bien sur ce point. Elle arrive à garder tout concis, à ne pas perdre dans la mythologie.
Un exemple qui me vient en tête et qui vous paraîtra peut-être insignifiant est une réflexion que se fait Circé sur une tante et sur le fait qu’elle ne va pas dire son nom, car elle a tellement d’oncles et de tantes qu’on ne serait pas sorti de l’auberge si elle commençait à dire qui est qui. Et c’est totalement vrai. Le livre est parsemé de petites phrases ainsi qui sont très justes et qui aident à rendre l’univers concret.
Il est aussi parsemé de petites piques, de temps à autre, qui font mouche et qui rajoutent de l’humour. Cela se voit surtout dans les dialogues. Une qui me vient en tête est le moment où Hermès arrive à la porte de Circé pour transmettre un message à un de ses habitants. Il lui dit bonjour, elle lui répond non et veut refermer la porte. Rien qu’à m’en rappeler, j’en ris encore.
Un autre point important est sa capacité à développer ses personnages afin que, même s’ils nous semblent étranges voir immoraux, ils ne sonnent jamais faux. Il n’y a aucun « méchant très méchant ». D’ailleurs, il n’y a aucun héros non plus. Le livre propose à plusieurs endroits une déconstruction du mythe du héros parfait, de manière plus subtile que je ne l’ai habituellement vu. On se fait parfois manipuler un bout de temps avant de s’en rendre compte.
De toute manière, les personnages sont vraiment le point fort du livre. On en croise beaucoup tout au long du roman et si certains sont plus développés que d’autres, ils sont tous très bien écrits. On rencontre ainsi tour à tour la famille de Circé, Glaucos, Scylla, Ulysse et tant d’autres…
Astérion apparaît dans le récit (enfin, sa naissance). Vous ne voyez probablement pas qui c’est, mais moi j’étais aux anges pendant tout le chapitre, surtout en voyant son nom cité.
J’ai un gros faible pour Pasiphaé. Je dois avouer que je ne l’avais jamais vu représenté comme cela. D’habitude, elle est passive, en retrait, telle une douce femme au foyer et dont l’épisode le plus marquant est celui du taureau. Je n’avais jamais réalisé qu’elle était sœur de Circé. Ici, elle est bien plus que cela. Elle est horrible, dans le bon sens du terme. Fascinante par la répulsion qu’elle exerce, tellement tordue, tellement représentative de l’état d’esprit si perverti des dieux, le genre de personnage que l’on adore détester et que moi j’adore tout court. Et quand on lui donne enfin la parole, son mode de raisonnement fait sens. On arrive à la comprendre alors que de prime abord, ce n’est pas évident. Je l’aime d’autant plus qu’elle fourre le nez de Circé dans ses contradictions et ça, c’était assez jouissif.
Et puis, elle a la meilleure réplique du roman. Si vous l’avez vu, vous savez de quoi je parle, c’est celle lancée à Dédale dans le chapitre d’Astérion. Quand je l’ai lu, j’ai hurlé de rire. Malheureusement, je n’ai plus le livre sous la main et je ne la retrouve pas sur internet, dommage…
Mais voilà que je parle des personnages sans même évoquer la principale. Un peu un comble, non ? J’aime beaucoup Circé, et tant mieux, car nous sommes intégralement de son point de vue. On suit, page après page, son évolution, ses réflexions, plongées dans ses pensées. Si bien que je ne pense pas que cela soit possible de lire le roman si on n’arrive pas à accrocher un peu au personnage. Elle est complexe et bourrée de contradictions, ce qui n’est pas pour me déplaire. Elle fait une très bonne narratrice, car elle se sent souvent en dehors, peu « normale », si bien qu’elle commente souvent d’un point de vue extérieur, dans une recherche de trouver sa place. On la voit tâtonner, se questionner, échouer, réessayer, se faire trahir, mûrir… Chaque nouvelle expérience lui apporte quelque chose de nouveau. Et elle sonne terriblement juste.
Sa relation avec Ulysse occupe une certaine place dans le roman, même après son départ et elle est assez bien faite. C’est par son prisme qu’il y a la déconstruction du héros. Sans trop rentrer dans les spoils, c’est un des passages où on se fait presque manipuler tant on voit tout d’abord les bons côtés d’Ulysse uniquement, qui sait se montrer charmant et vif d’esprit. Et puis, au fur et à mesure, on se rend compte de certains aspects et notamment qu’ils réveillent le pire chez l’autre – surtout chez Circé.
Et je vais m’arrêter là sur les personnages, car sinon, ma critique va être bien trop longue.
L’aspect sorcellerie est très bien traité également, car, comme le souligne ci bien Circé, ce n’est ni un don ni un pouvoir magique. C’est quelque chose qu’elle acquiert tout au long, découvrant petit à petit et nous avec. Il y a donc plusieurs passages où elle tâtonne, raconte ses expérimentations et cela m’a beaucoup plu. Cela donnait presque… envie. C’était tangible.
En dernier point positif, je n’avais pas vu venir la fin. Mais je ne peux pas trop développer pour ne pas spoiler.
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